Récit

Aujourd’hui, je m’octroie le droit de dire

Caroline Cotman-Persoons a une fille avec un handicap. Toute une vie chamboulée ? Non : cinq vies chamboulées. Et une incroyable volonté pour garder la tête hors de l’eau. Non : cinq terribles volontés. Témoignage.

"Le moment où l’on m’a annoncé le handicap de Mathilde a été hallucinant. J’avais mon bébé dans les bras et, en trois minutes, on nous a nommé l’anomalie chromosomique rare dont elle était atteinte : trisomie 14 en mosaïque. On nous a expliqué que ma petite fille n’aurait pas une vie ‘normale’. Elle souffrait d’une malformation cardiaque et d’un retard mental. Elle marcherait tard, aurait de nombreux problèmes physiques, etc. Une description apocalyptique de ce que serait sa vie, et donc la mienne, celle de notre famille. On me faisait un terrible oracle, que je refusais d’accepter. J’allais me battre pour qu’il ne se réalise pas !"

Accepter le handicap

Vingt-six ans plus tard, Caroline Cotman-Persoons l’a accepté. Mathilde ne sera jamais tout à fait adulte ni tout à fait ‘comme les autres’. Elle restera fragile, dépendante, bref, avec un handicap. Mais, elle n’a pas renoncé à la lutte : "en tant que femme politique (NDLR : Caroline Persoons a eu une longue carrière de députée de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région bruxelloise), j’ai tenté de faire prendre conscience des difficultés auxquelles se heurtent les familles qui comptent un enfant avec un handicap. Dans ma vie personnelle aussi, avec mon mari, je me suis battue pour tenir le coup, pour ne pas sombrer, pour ne pas me laisser engloutir par la rage, la tristesse, la peur et la culpabilité."

La rage ? "En tant que maman d’enfant handicapé, on en veut à un moment au monde entier : au sort, qui s’est acharné sur nous ; aux autres parents, qui ont des enfants ‘normaux’ ; à l’école ‘traditionnelle’, qui n’a pas pu intégrer Mathilde, etc. On enrage tant que l’on persiste à croire que notre fille sera élevée ‘comme tout le monde’, que son inclusion dans la société sera parfaite. Il m’a fallu du temps pour m’adoucir, commencer à faire des deuils, admettre qu’il faudrait trouver des lieux adaptés pour Mathilde. Trouver les lieux d’accueil adéquats, c’est une longue quête mais on y découvre souvent des encadrants extraordinaires."

La tristesse ? "Elle me prend par surprise, parfois aux moments les plus inattendus, au travail ou face à des paysages sublimes."

Conjurer la peur

La peur ? "Elle m’accompagne en permanence, même si je ne la laisse pas gouverner ma vie. Devenir parent d’un enfant avec un handicap, c’est l’insouciance qui s’en va. "Mathilde a le cœur fragile. Elle a subi une première opération juste après la naissance, et une autre à l’âge de 8 ans. À la suite de laquelle elle a été victime d’un accident vasculaire cérébral. "Depuis lors, l’angoisse est là : quel accident la menace encore ? Et puis, surtout : que deviendra Mathilde après nous, ses parents ?"

Pour conjurer cette peur, Caroline a créé, avec son mari, leurs trois enfants, quelques autres membres de la famille et des amis, une Fondation privée pour Mathilde. "Nous voulions rassembler des gens bienveillants pour réfléchir et accompagner Mathilde, au-delà de nous. Pour que Mathilde, mais aussi ses frère et sœur, sentent qu’il y a un encadrement, qu’ils ne seront jamais seuls. Bien sûr, la création d’une telle fondation exige des capacités, intellectuelles et financières. Mais, il existe des structures qui offrent un accompagnement du même type pour toutes les familles : je pense notamment à l’ASBL Madras et à la Fondation Portray. C’est tellement rassurant…"

La culpabilité ? "Oui ! Je me sens parfois coupable de ne pas toujours avoir pris les bonnes décisions, de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait pour les deux autres enfants. Avec mon mari, nous avons choisi de faire un maximum à cinq. Du coup, Eléonore et Nicolas, la grande sœur et le petit frère de Mathilde, ont dû s’adapter aux capacités de Mathilde. Pas question, par exemple, de vacances trop sportives. Rétrospectivement, je me dis qu’il aurait peut-être été préférable de nous réserver des moments à quatre. Parce que faire partie d’une famille comptant un membre avec un handicap, c’est dur pour les parents, mais pour la fratrie aussi."

La vie continue, terriblement belle

Même si elle n’élude pas les difficultés, Caroline ne renie ni la vie, ni le bonheur d’être mère. "Je suis fière de Mathilde, qui a surmonté tellement d’épreuves, et aussi d’Eléonore – directrice d’un centre médical pour personnes précarisées, elle a aussi co-créé l’ASBL FratriHa, une plateforme de soutien, de sensibilisation et d'information pour les fratries de personnes avec un handicap mental – et de Nicolas – en dernière année en ingénieur de gestion. Ils sont extraordinaires, brillants, aimants."

"Je voudrais dire aux autres parents d’enfant avec un handicap qu’il ne faut pas se priver de moments, d’endroits où déposer les douleurs, où parler et oublier un peu le quotidien. C’est vital."
Caroline Cotman-Persoons
Maman d’une fille avec un handicap

Pour conjurer l’épuisement qui guettait, Caroline Persoons a quitté la vie politique au printemps 2019, et aimerait aujourd’hui intégrer une association offrant écoute et ressourcement aux parents, fratries, familles d’enfants porteurs d’un handicap, telle que la Casa Clara : "pendant des années, je me suis oubliée : je devais ‘tenir’, et puis c’est tout. Quand mes autres enfants ont quitté la maison familiale, j’ai eu un passage à vide. J’ai réalisé que la vie coulait. Je voudrais dire aux autres parents d’enfant avec un handicap qu’il ne faut pas se priver de moments, d’endroits où déposer les douleurs, où parler et oublier un peu le quotidien. C’est vital." "Au fil des épreuves, je me suis construit une armure pour avancer, souriante, mais aujourd’hui, je m’octroie le droit de dire, d’écrire que c’est dur, dur d’être maman d’un enfant avec un handicap. Je ne serai jamais grand-mère de tes enfants mais serai pour toujours maman d’une éternelle petite fille. La vie continue, terriblement belle", écrit Caroline dans une lettre à Mathilde.

À propos de l’action de la Fondation Roi Baudouin en matière de handicap

Vivre avec un enfant avec un handicap ou d’une maladie grave peut être très enrichissant, mais aussi source de difficultés. Afin de mettre cette thématique à l’agenda et de stimuler des initiatives qui répondent aux besoins des frères et sœurs de ces enfants, la Fondation Roi Baudouin a lancé un appel à projets qui a permis de soutenir 21 projets pour un montant total de près de 100.000 euros. Un réseau d’apprentissage a permis aux initiateurs de ces projets de se rencontrer, développer et partager connaissances et expertise. Accompagné par les orthopédagogues Marie-Claire Halewyck (UMons) et Tinneke Moyson (HoGent), le groupe a identifié une série de bonnes pratiques pour soutenir les fratries d’enfants handicapés, qui donné lieu à une publication spécifique. À partir de 2021, la Fondation se penchera sur le vécu et les besoins des parents d’enfant avec un handicap.

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